Albert Camus et les libertaires

Écrits rassemblés par Lou Marin
Égrégores éd., 2008, 368 p.

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Certains savent déjà de quoi il retourne puisque Lou Marin est venu à Bordeaux, il y a peu, présenter son bouquin à la Machine à lire et à l’athénée libertaire ; c’est lui d’ailleurs qui a entrepris de faire plus de lumière sur cet aspect de l’homme Camus et sur le côté libertaire de son œuvre. Lou Marin, comme son nom ne l’indique pas, est d’origine germanique ; nous, les Français, parce que trop familiers de Camus, nous sommes passés trop vite à côté de cet éclairage.

On a même pensé que Lou Marin tirait un peu trop la couverture, qu’il « récupérait » l’écrivain et l’homme. Mais, réflexion faite, on pense que Lou Marin avait raison.
Pour les auditeurs, disons que c’est un recueil de textes sur Camus, et de Camus, dispersés dans différentes publications libertaires ou très proches : il s’agit du Libertaire, du Monde libertaire, de Défense de l’Homme, de Témoins, de Liberté, de Contre-Courant, de la Révolution prolétarienne.
Il faut aussi noter les contacts de Camus avec des journaux libertaires ou anarcho-syndicalistes comme Solidaridad obrera (fait à Paris), Arbetaren (suédois), Reconstruir (de Buenos Aires), Die freie Gesellschaft (allemand), etc., cela sur une période allant de 1948 à sa mort, en 1960.
Ces relations de Camus avec les libertaires sont occultées, ou alors on n’a pas envie de les aborder… On peut se poser la question : pourquoi ?
La réponse est peut-être dans l’attitude de Camus : on pourrait dire qu’il fut un « compagnon de route discret » ; tant par rapport à l’anarchisme que par rapport à la non-violence il lui restait un petit pas à faire. A-t-il manqué de courage ou de cohérence pour faire ce pas ?
La rencontre avec les libertaires se fait très tôt, déjà en Algérie, mais de façon disons indirecte. La véritable rencontre se fit en 1940, quand les Allemands envahirent la France, quand Camus se replia à Clermont-Ferrand, puis à Lyon, avec le journal Paris Soir, où il travaillait, et avec une équipe de typographes, et surtout avec Rirette Maîtrejean, correctrice, ex-compagne de Victor Serge, du temps du journal l’Anarchie.
Une amitié se noua. Rirette servit d’intermédiaire avec différents compagnons.
Et c’est en 1949, dans Défense de l’homme, revue créée par Louis Lecoin, que Camus écrit pour la première fois, dans une revue anarchiste, un article étonnant sous forme de dialogue. Rappelons que Camus fut un passionné de théâtre.
Article étonnant ? Disons que ce texte explique bien pourquoi un anarchiste partisan de la non-violence comme Lou Marin se passionne pour Camus :
« Est-ce la non-violence ? écrit Camus.
− On me prête cette attitude en effet. Mais c’est pour pouvoir mieux la réfuter. Je me répéterai donc. Je ne pense pas qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable. Les années d’occupation me l’ont appris. Je ne dirais donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence. Elle est à la fois nécessaire et injustifiable. Alors, je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel, précisément, et la resserrer dans les limites qu’on peut. Cela revient à dire qu’on ne doit pas lui donner de significations légales ou philosophiques. »
Plus tard, il écrivit, alors qu’il tenait la plume pour proposer un statut pour les objecteurs de conscience :
« Au surplus, la non-violence, qu’on prétend si souvent tourner en dérision, s’est révélée en maints cas très efficace, alors que la résistance armée a manqué le plus souvent son but. L’importance du mouvement de Gandhi, à cet égard, n’est plus à dire. »
Mais c’est de l’Homme révolté qu’il faudrait parler.
Ce livre fut plutôt bien accueilli par les libertaires avec des critiques, disons de détail, mais qui importaient à quelques-uns. Critiques par rapport à Stirner, à Lautréamont, par rapport au surréalisme, etc.
Mais ce fut surtout Gaston Leval qui, en quatre articles dans le Libertaire, fit en quelque sorte la leçon à Camus, entre autres sur l’aspect nihiliste de la jeunesse de Bakounine. Camus accepta honnêtement les critiques, répondit à Leval et modifia même son texte dans l’édition de l’Homme révolté qui suivit.
Il faudrait aussi parler de la revue Témoins, où Camus s’exprimera à plusieurs reprises. Témoins était animée par Jean-Paul Samson, insoumis de la guerre 14-18 et réfugié à Zurich. Les auditeurs curieux pourront consulter cette revue sur la Toile, en tapant : « La Presse anarchiste ».
Il faudrait aussi parler des Groupes de liaison internationale où se retrouvait une gauche antistalinienne, parler de même des contacts avec des gens comme Nicolas Lazarévitch ou Pierre Monatte, etc.
Il faudrait ne pas oublier les relations de Camus avec Messali Hadj et son mouvement indépendantiste algérien, concurrent du FLN et éradiqué par ce dernier, et rappeler les articles de Camus dans la presse algérienne, dès 1930, qui critiquait déjà le colonialisme français.
En bref, je conseille donc fortement de lire le livre de Lou Marin : Albert Camus et les libertaires, édité par Egrégores.

Achaïra, 7 mai 2009

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