Au hasard d’un polar de Georges Simenon

Émission sur la Clé des ondes

Le Suspect, de Georges Simenon (1903-1989), est un roman publié en 1938 ; c’est l’histoire de Pierre Chave, déserteur anarchiste, réfugié en Belgique, à Schaerbeek, où il travaille dans un théâtre comme second régisseur et figurant. En France, il militait dans un groupe avec lequel il était resté en relation. Ce groupe, sous l’influence de nouveaux arrivés, a décidé de passer à l’action directe violente et de faire sauter une usine d’avions à Courbevoie. Simenon décrit son personnage comme un idéaliste qui écrit pour la presse libertaire : « Il n’était pas un saint. Mais il avait horreur des coups, de la violence, du sang, de la douleur. »

Et plus loin encore, lors d’une péripétie délicate et périlleuse :
« Pour la première fois de sa vie, il regretta de ne pas être armé. Il n’avait jamais manié un revolver. Les armes à feu lui faisaient peur, aussi bien que n’importe quelle arme, que tout ce qui faisait souffrir la chair. »
Réflexion étonnante. Était-il possible que Pierre Chave, qui, selon Simenon, avait déserté après « dix mois de service militaire », n’ait jamais touché à une arme lors de cette période ? Mais l’auteur n’en dit pas plus. Il aurait été plus vraisemblable que le héros fût tout simplement un insoumis à l’armée ? Déserteur ou insoumis, la nuance a dû échapper à l’auteur qui, pourtant, dans sa jeunesse, approcha le mouvement libertaire et rencontra sans doute des personnages comme celui qu’il décrit. En effet, on peut lire sur la Toile, dans l’Éphéméride anarchiste, que Georges Simenon « ne participa pas au mouvement anarchiste, ne sera pas davantage un militant, mais lors d’une interview il déclarera avoir fréquenté les anarchistes dès l’âge de 16 ans, ajoutant notamment : “Je me considère comme un anarchiste non violent, car l’anarchie n’est pas nécessairement violente, celui qui s’en réclame étant un homme qui refuse tout ce qu’on veut lui faire entrer de force dans la tête ; il est également contre ceux qui veulent se servir de lui au lieu de lui laisser sa liberté de penser” ».
L’approche théorique des anarchistes par Simenon a sans doute été très superficielle. Belge, né en 1903, a-t-il côtoyé le compagnon, belge également, Marcel Dieu, dit Hem Day, né, lui, en 1902 ? Ce dernier, par la suite prendra d’une façon très claire position pour la non-violence. Hem Day, que nous avons rencontré à Bruxelles en 1960, participa à la petite revue Anarchisme et non-violence (1965-1974). Si Hem Day a rencontré Simenon, sans doute était-il trop tôt pour qu’il en jaillisse quelque chose. Il faudra un peu de temps pour que le message passe. Ajoutons que l’esprit du moment était encore encombré par une histoire chargée des violences du passé…
Aujourd’hui, il semble que nous avançons. Ainsi, Jean-Michel Lacroûte, sur son blog de Médiapart, écrit à propos de Désobéissances libertaires : « Petite brochure intéressante qui nous rappelle de manière salutaire et utile qu’anarchisme et non-violence peuvent faire bon ménage. Et plus que bon ménage d’ailleurs puisque, pour les deux auteurs, il s’agit là de la seule solution vers un vrai changement radical de société. Certains l’appellent encore révolution. Pourquoi pas. »
Toujours est-il que, dans notre roman, lorsque Chave apprend que le compagnon du groupe avec qui il a un fort attachement affectif est celui qui doit lancer la bombe, il décide de revenir en France pour l’en empêcher.
Simenon, au cours d’un long suspense, décrit l’action de Pierre Chave, qui réussit à s’emparer de l’explosif camouflé dans une bouteille thermos.
Après une course pleine de risques dans les rues de Paris, réussira-t-il à neutraliser l’engin ?
Pourra-t-il ensuite revenir à Schaerbeek reprendre sa vie auprès de sa compagne et de son fils ? Suspense !

Georges Simenon, Le Suspect,
Gallimard, 1976 (1938), 180 p.

Achaïra du 4 avril 2016

 

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