Le boycott

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

C’est bien malgré lui que l’ancien militaire anglais Charles Cunnington Boycott donna son nom à une pratique proche de l’action directe non-violente : le boycott. Intransigeant régisseur, il souleva contre lui − en une véritable lutte de classe − des fermiers irlandais qui pratiquèrent à son encontre une impitoyable quarantaine. Il s’exila.
Le boycott peut se décliner de multiples façons : mise à l’index, ostracisme, embargo, rejet, bannissement, proscription, excommunication, blocus, non-coopération, interdit, mise à l’écart, isolement et même la simple bouderie. J’en oublie… Si la grève est l’arme par excellence des producteurs, le boycott est celle, potentiellement, des consommateurs et des usagers qui peuvent ainsi développer un contre-pouvoir. Le boycott, par une action économique, peut redonner un pouvoir à la base que l’action politique a fait perdre et, parmi tous les autres moyens de lutte, le boycott − quand il se découvre un esprit libertaire − se révèle une arme économique pour ceux qui ne cherchent pas à conquérir le pouvoir politique.

Le contraire du boycott serait le « buycott », de « buy » : acheter, c’est-à-dire inviter les consommateurs à préférer tel marchand à tel autre, à choisir la « liste blanche » contre la « liste noire »… que l’on boycotte.
Un aspect du boycott que, d’ordinaire, on néglige, c’est l’importance donnée à l’individu, à sa liberté d’agir. En effet, dans l’action du boycott, l’individu ne s’efface pas derrière un collectif ou derrière une organisation ; d’une certaine façon, il s’en affranchit ; pour autant, il est de la plus grande évidence que le succès d’un boycott dépend de son articulation avec le collectif car on ne réussit pas seul ; néanmoins, dans un boycott, chacun s’engage selon ses possibilités, selon ses forces, et choisit sa façon propre de s’impliquer.
Dans la large panoplie de la désobéissance civile, le boycott est un outil que l’on associe le plus souvent à la non-violence. Il repose sur le refus. Si nous ne savons pas toujours ce qu’il faut faire, nous portons presque toujours en nous la certitude de ce qu’il ne faut pas faire, qu’il y a ainsi des limites que l’on ne peut franchir, autrement dit : l’individu recherche, plus ou moins consciemment, une cohérence dans sa vie.
L’Histoire est riche en boycotts :
− Un des plus connus, c’est la « Boston tea party », en 1773, qui préluda à l’indépendance des États-Unis en empêchant le débarquement des marchandises anglaises.
− La « mise à l’index » de patrons fermés aux revendications ouvrières avait été décrite par Michèle Marigot dans son Anarchosyndicalisme à Lyon, 1880-1914.
− Les actions de Gandhi sont mieux connues pour ne pas les redire ici.
− Le conflit mené en 1933 en Catalogne par la CNT anarcho-syndicaliste contre le patron de la bière Damm est décrit dans le livre Comme un chat de Floréal Cuadrado : après l’échec de la grève, la CNT organisa alors un boycott musclé et victorieux.− Le boycott des bus de Montgomery du 1er décembre 1955, en Alabama, fut le début du combat de la désobéissance civile qui se termina également par une victoire.
− En 1965, à Delano, les ouvriers agricoles, sur la côte occidentale américaine, lancèrent une grève qui s’étendit à toutes les entreprises et qui se transforma en un large boycott du raisin. L’apogée fut une marche de 500 km jusqu’à Sacramento.
− En 1990, c’est Nike, leader sur le marché de la chaussure et des vêtements de sport qui va subir le boycott de ceux qui lui reprochent de faire fabriquer ses marchandises selon des pratiques de production indignes. Nike s’incline en 1992.
− En 2001, après l’annonce de licenciements chez Danone à Calais et à Ris-Orangis alors que l’établissement est prospère, les ouvriers se mettent en grève et appelle au boycott de leur propre entreprise : « Danone licencie, licencions Danone de nos produits ! » Un site est lancé sur la Toile : « jeboycottedanone.com ».
− Le boycott de l’Afrique du Sud − qui durera une trentaine d’années − est bien connu, surtout par une image particulièrement évocatrice d’une tête d’enfant noir dans un presse-citron. C’était le boycott des oranges Outspan.
− C’est à l’exemple de l’Afrique du Sud que, en 2005, cent soixante-dix organisations de la société civile palestinienne ont lancé un appel à la société civile internationale pour un boycott intitulé BDS : Boycott, désinvestissement, sanctions. Actuellement, cette action se développe avantageusement à travers le monde…
Sauf en France où, si le boycott n’est pas formellement interdit par la loi, il peut tomber, entre autres, sous le coup des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal quand il est considéré « comme un acte discriminatoire ou une entrave à la liberté économique ». Visant plus particulièrement le BDS, les accusations d’« incitation à la haine raciale et à l’antisémitisme » sont portées. Des militants ont été condamnés, certains avec sursis.
La Cour européenne des droits de l’homme aura très certainement l’occasion de se prononcer dans les prochaines années sur cette affaire.
Le journal Le Monde du mardi 27 décembre 2016 titre en page une : « Israël face à la condamnation internationale de la colonisation » et consacre sa page 2 à la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la colonisation illégale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Cette chronique est une esquisse d’une publication à venir en cours d’élaboration.

Lundi 6 mars 2017 dans l’émission Achaïra

Petite contribution de Marianne Enckell :
deux histoires de boycott

http://www.frc.ch/a-propos/une-longue-tradition-de-luttes-et-de-succes/

À sa création en 1959, la Commission romande des consommatrices (CRC), qui deviendra plus tard la FRC, fait prendre conscience aux femmes qu’elles ont un pouvoir en tant qu’« acheteuses ». À une époque où les Suissesses n’avaient pas encore le droit de vote, les produits qu’elles décidaient de consommer, ou de ne pas consommer, influençaient l’industrie qui les met sur le marché. C’est ainsi que les premiers boycotts sont organisés.
En 1967, la grève du beurre est lancée suite à une augmentation du prix du beurre décidée par le Conseil fédéral. Le prix de cette denrée a grimpé en flèche et l’appel de la FRC à la grève est bien suivi. Quatre mois après le début du boycott, la consommation a diminué de 27 % et le gouvernement est contraint de revoir le prix à la baisse. En gagnant cette première bataille, les consommatrices prennent conscience de leur influence.
D’autres boycotts suivront. En 1972, la FRC organise celui du jambon et de la charcuterie suite à l’autorisation d’ajouter des polyphosphates dans le procédé de fabrication. Cette substance permet à la viande de mieux retenir l’eau et la graisse, ce qui en diminue la valeur nutritive. Les consommateurs suivent le mouvement et la diminution des ventes est de 50 % pour la charcuterie et 75 % pour le cervelas !
Plus récemment, le chocolatier Cailler abandonne ses emballages en PET suite aux réactions de l’opinion publique, alertée par la FRC dès 2005.

*

http://www.globallabour.info/en/2009/08/3_boycott_cocacola.html

Répression contre les travailleurs de l’usine
de mise en bouteilles
de CocaCola

La répression menée contre les syndicalistes de l’usine de mise en bouteilles concessionnaire de la société CocaCola au Guatemala, Embotolladora Guatemalteca (EGSA), est représentative de la forme et du degré de la violence exercée contre les ouvriers des autres usines du pays. Parmi les syndicalistes trouvés morts après les manifestations du 1er mai à Guatemala City figuraient deux ouvriers de l’EGSA dont les corps portaient des marques de tortures.
Le 27 mai, Marlon Mendizabal a été le troisième secrétaire général de l’Union des travailleurs de l’EGSA à être assassiné. Au début de la matinée du 21 juin, Edgar Rene Aldana, secrétaire du comité exécutif du syndicat, a été enlevé sur son lieu de travail à 1’usine EGSA, torturé et retrouvé mort quelques heures plus tard. Le meurtre d’Aldana a été l’une des raisons pour lesquelles les dirigeants de la confédération nationale des travailleurs (CNT) se sont réunis plus tard ce jour-là pour discuter de la répression dont étaient victimes les travailleurs, pour finalement être eux-mêmes enlevés et probablement assassinés. Lorsque les ouvriers de l’usine se sont mis en grève le 3 juin pour protester contre le meurtre d’Aldana et l’enlèvement des dirigeants de la CNT, le bâtiment a été entouré par des agents de la police judiciaire, le Peloton Modelo et le Comando 6 ; des ouvriers de l’usine ont été battus, et plusieurs ont été enlevés, y compris Marcelino Santos Chajon.
Bien que Coca-Cola International ait rejeté toute responsabilité pour la participation de son concessionnaire au Guatemala, à des actes de répression contre les ouvriers de l’EGSA, la compagnie a accepté, le 15 juillet, de désigner un nouveau concessionnaire, de nommer une nouvelle direction, de garder le contrôle de la gestion pendant cinq ans et de garantir les droits syndicaux aux employés de l’EGSA. Cet accord a été en grande partie le résultat du boycott international de Coca-Cola organisé par l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation et des branches connexes (UITA). L’apparent succès du boycott de CocaCola montre l’efficacité d’une action internationale en faveur des droits de l’homme et la nécessité d’amener l’opinion internationale à mieux prendre conscience du problème et à accroître sa pression.
(Je travaillais à l’UITA à l’époque, et nous avons eu beaucoup de discussions théoriques et pratiques sur le boycott, comme je l’ai brièvement raconté dans Refuser de parvenir (chez Indigène en 2014) :
« Le syndicat de l’usine Coca-Cola au Guatemala était cruellement réprimé, ses militants assassinés l’un après l’autre par des nervis à la solde du propriétaire, on a lancé de grandes campagnes internationales de solidarité. En Scandinavie, les serveurs des restaurants refusaient de servir du Coca-Cola ; en Australie ou en Nouvelle-Zélande, c’était les ouvriers qui fabriquaient les capsules qui se mettaient en grève ; en espagnol, « la chispa de la vida » (l’étincelle de la vie) devenait « la chispa de la muerte ». Après des mois de dénégation, de hauts responsables de l’entreprise Coca-Cola ont fini par accepter leurs responsabilités et sont venus, la tête basse, négocier dans les locaux du syndicat à Genève. Malgré une convention collective conclue en 1980, et de nouveaux concessionnaires, la situation ne s’est pas stabilisée longtemps. Depuis février 1984, les travailleurs guatémaltèques ont dû occuper l’usine d’embouteillage pendant onze mois avant d’obtenir un nouveau contrat. Et ça n’a cessé de se reproduire, chez Coca-Cola en Colombie ou aux Philippines, chez Nestlé en France ou en Corée… La partie n’est jamais gagnée, quelles que soient la force et la détermination des travailleurs et des syndicats ; mais sans une force collective et une solidarité par-dessus les frontières, la partie est forcément perdue. »
Une des discussions au syndicat concernait la durée et la pertinence du boycott. Les syndicats suédois ont appelé pendant quelque quarante ans au boycott du tourisme en Espagne, d’autres au boycott des oranges d’Afrique du Sud, ça n’a rien changé aux résultats commerciaux ; mais ça a fait prendre conscience à certaines personnes. En revanche, dans l’affaire Coca-Cola, il fallait agir vite et fort. Pas de Coca dans les restaurants suédois pendant deux jours, pas de réassort des commerçants en Australie, faute de capsule, pendant quelques jours, c’étaient des actions « coup de poing » qui demandaient une bonne préparation, une bonne comm’, un suivi d’heure en heure. Et rappelez-vous que c’était avant le courriel : on se relayait au télex, toute la nuit, pour avoir des nouvelles des antipodes et répondre illico. Voir les pdg de Coca-Cola arriver quasiment à genoux à Genève, ça faisait franchement plaisir !)

Marianne Enckell

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